Marine Chevalier

Titre de la Thèse: Christofle Landré, la prosopographie d’un humaniste de la concorde : l’Œcoïatrie (ca. 1548), un geste médical innovant en faveur d’une mixité des savoirs.

Courriel: marine.chevalier@etu.univ-tours.fr

Date de début de la thèse: 2016

Date de soutenance: Samedi, 18 Décembre, 2021

Directeur (trice): Concetta Pennuto et Benoist Pierre

Discipline: Histoire

Résumé: 

Présentation de Landré et de son œuvre Les recherches sur la médecine et la pharmacie à la Renaissance ont mené les historiens à étudier les continuités et les ruptures que les auteurs du XVIe siècle ont eues avec les Anciens, dans l’ensemble des disciplines. Dans ce cadre s’affirme Christofle Landré, médecin français oublié de l’histoire, mais qui jouissait d’une renommée certaine à son époque. Il fut en effet connu pour avoir été « Docteur en Médecine et Lecteur de feu Monseigneur le Duc d’Orléans » , soit « Lecteur » de Charles II d’Orléans, fils de François Ier, ainsi que pour avoir rédigé cinq ouvrages : l’Histoire de nostre temps , les Philosophes , l’Œcoïatrie, le De perfecta Re Publica , et le De jure, legibus et aequitate . Même si le statut social et la production littéraire de ce médecin natif d’Orléans témoignent de son importance, l’Œcoïatrie est le seul livre qui nous reste de lui. Écrit vers 1548, ce traité en langue vernaculaire française sera réédité de très nombreuses fois, notamment au sein Des admirables secrets d’Albert le Grand dès 1703, et ce jusqu’en 1800. Problématique : pourquoi une thèse sur Landré Dans cette thèse, il est proposé d’étudier Christofle Landré et l’Œcoïatrie au vu de l’absence de recherches historiographiques sur lui et son œuvre, alors que sa production dévoile un pan médical méconnu. En effet, comme nous pouvons le constater par rapport au domaine de la santé des femmes ou du thermalisme, l’Œcoïatrie est, elle aussi, une spécialisation du savoir médical de la Renaissance et renseigne sur une éthique médicale liée à l’évangélisme naissant. D’une part, l’Œcoïatrie porte sur une institutionnalisation de la médecine domestique – œco-, foyer, et -iatrie, spécialité médicale – en se basant sur un savoir galénique aujourd’hui négligé des historiens. Cette spécialisation vise à accorder la théorie pharmaceutique docte aux pratiques domestiques de santé. Pour ce faire, Landré collecte les vertus galéniques et dioscoridiennes des ingrédients les plus vils : divers excréments ou déchets communs du quotidien rural, qu’il articule de manière à créer une nouvelle famille de « simples », efficace et de « nul prix » , à l’image métaphorique d’un « or couvert de fiente » . Tout au long de l’œuvre, nous trouvons donc les vertus des diverses fientes, en passant par celles des urines, celles des vers de terre, boues, toiles d’araignées, cervelles, ou encore celles des cornes et des os de toutes sortes. Bien qu’étrange pour nos yeux du XXIe siècle, cette pharmacopée antique se voit regroupée dans le cadre de la médecine domestique et mise au jour en français par un médecin renommé, sorti des universités et actif dans le milieu royal. Cet acte singulier de Landré nécessite un travail de recherche pour comprendre les raisons de rédaction du volume et les répercussions du traité sur son temps. D’abord, un travail d’analyse est à mener sur le contenu pharmacologique de l’Œcoïatrie, avec un temps de référenciation des sources savantes utilisées par Landré lui-même, afin de statuer de sa valeur médicale, de sa bibliothèque et de la manière dont il se sert des auctoritates médicales. Puis, pour comprendre la réception et l’usage de l’œuvre de Landré, il faudra reconstituer l’histoire du texte, c’est-à-dire la relation entre les différentes éditions qui, selon l’actualité de mes observations, sont au nombre de douze en français et de trois en allemand. D’autre part, la réanimation du lien antique entre médecine galénique et médecine domestique sous-entend des problèmes de société forts. En effet, cette thèse cherchera autant à faire l’examen de la méthode médicale de Landré que, parallèlement, de rendre intelligibles les raisons sociétales pour lesquelles il décide de fonder cette spécialité qu’on peut nommer œcoïatrie. À ce sujet, l’hypothèse la plus évidente et la plus probante est celle de la justice. C’est en tout cas ce que laisse supposer le cadre évangélique et réformateur auquel Landré se dit appartenir, notamment dans son épître dédicatoire par son allégeance à Gérard Roussel et à Marguerite de Navarre . Ainsi, je pense qu’il faudra aborder son Œcoïatrie sous plusieurs aspects : non seulement comme un savoir purement médical à destination du domaine domestique, mais aussi, de manière plus implicite, comme une adresse éthique et politique à la communauté savante, encline à s’enrichir, d’après Landré, sur le dos des ignorants et, plus important encore, encline à diaboliser certains ingrédients thérapeutiques . Après l’étude médicale du texte, l’étude à visée politique et sociale se propose de comprendre, par le biais de l’Œcoïatrie, quelle posture tient Landré face à l’Inquisition. Nous savons qu’une pression royale et cléricale se fait à l’encontre des praticiens médicaux non-universitaires . Indépendamment des charlatans, les femmes du quotidien ont à charge la santé de leurs proches et pratiquent une médecine domestique sans formation universitaire. À ce titre, lorsqu’on lit plus tard dans la Démonomanie des Sorciers de Jean Bodin (1580) qu’une femme est accusée de sorcellerie pour simplement avoir guéri via des « moyens contre nature : comme de la cervelle d’un chat, qui est un poison, & autres choses semblables », quel intérêt concret peut avoir la reconnaissance officielle de cette pharmacopée ? Est-ce que les références aux vertus galéniques de la cervelle de chat sont utiles pour plaider en faveur de ceux qui en font l’usage ? Christofle Landré avait-il pour objet d’utiliser son Œcoïatrie à des fins juridiques ? Avait-il une quelconque autorité pour éduquer, ou même sauver, quelques-uns de ses contemporains ? Des questions que l’on se doit de poser au vu des publications à visées juridique et politique de Landré telles que le De perfecta Re Publica. Nous comprenons déjà que le statut médical des ingrédients thérapeutiques est primordial dans la crédibilité des praticiens, mais jusqu’à quel point les vertus de la vile pharmacopée de Landré cautionnent leurs utilisateurs ? Cette thèse aspirera donc à édifier l’œuvre de Landré par les différentes facettes religieuses, politiques et médicales qui la caractérisent, faisant de lui un humaniste en faveur d’un dialogue entre les connaissances savantes et les gestes quotidiens.

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