Lorenzo Paoli

Titre de la Thèse: Les historiens français du XVIème siècle et les Antiquitates d'Annius de Viterbe : les vrais usages d'un faux

Courriel: lorenzo.paoli@etu.univ-tours.fr

Date de début de la thèse: 2017

Directeur (trice): Florence Alazard

Discipline: Histoire

Résumé: 

On utilise souvent le terme d’« ère post-vérité » ou d’« ère post-factuelle » pour désigner la façon dont, aujourd’hui, sous l’influence des nouveaux médias, la réalité des faits et la véracité des propos se trouvent déconsidérées. Mais la remise en question du rapport de l’histoire à la vérité n’est pas nouvelle : depuis l’antiquité, l’historien, alors qu’il est censé présenter des faits avérés, est accusé de sombrer dans la rhétorique. À la Renaissance, période qui favorise une nouvelle écriture de l’histoire nourrie des modèles classiques grecs et romains, la question se pose particulièrement. Ainsi, grâce à la philologie, la critique se développe et offre de nouveaux instruments pour distinguer le vrai du faux. C’est dans cet esprit que s’inscrit l’un des ouvrages les plus lus du XVIe siècle, un recueil d’Antiquitates publié pour la première fois à Rome en 1498 sous le titre d’Antiquitatum Variarum Volumina XVII. Il rassemble les histoires – supposément perdues – rédigées par onze auteurs de l’antiquité (Bérose, Fabius Pictor, Caton, Archiloque, etc.), et soigneusement commentées par l’auteur du recueil, le moine dominicain Giovanni Nanni, connu sous le nom d’Annius de Viterbe (1437 - 1502). Grâce au nouveau média qu’est l’imprimé, le texte se répand dans toute l’Europe et rencontre un grand succès, particulièrement en France, où il connait au moins six éditions entre 1509 et 1598. Pour leurs lecteurs du XVIe siècle, les Antiquitates, surtout à travers l’Historia Chaldaica de Bérose le Chaldéen, permettaient d’éclaircir l’ethnogenèse européenne et sa préhistoire postdiluvienne à l’intérieur de l’histoire universelle. La fortune du texte est complexe : si l’authenticité des textes est souvent mise en doute pendant le XVIe siècle, les Antiquitates sont comprises comme des sources originales par la plupart des humanistes… alors pourtant qu’elles se révèleront être des faux, des oeuvres inventées par Annius de Viterbe lui-même. Ainsi en 1509, dans ses Illustrations de Gaule et singularitez de Troyes, Jean Lemaire de Belges (1473 - 1524) accepte et réutilise les faux d’Annius dans leur intégralité. C’est le début d’une réception française du texte qui se poursuit jusqu’au XVIIe siècle, en même temps que s’affirme le « mythe Gaulois » qui consiste à conférer à l’ensemble de tous les habitants de la France une même origine gauloise et à en faire l’éloge. Les Antiquités sont ainsi instrumentalisées au service d’une histoire nationale, qui veut démontrer l’existence, depuis les temps immémoriaux, d’une « nation françoise ». Après plus d’un siècle de succès, l’ouvrage d’Annius, considéré comme une imposture et ainsi discrédité, sombre dans l’oubli. Il faudra attendre les années 1960 pour que les historiens s’y intéressent de nouveau, favorisant des études aussi bien sur la figure et les oeuvres d’Annius que, plus largement, sur les usages des Antiquités par les historiens de la Renaissance (Stephens, 1989 ; Grafton, 1990 ; Lehr, 2012). Mais l’étude du texte et de sa fortune reste marginale : elle souffre toujours de l’opprobre jeté sur le faussaire. La thèse entend donc explorer un document sur lequel il n’est plus question de porter un regard moral, mais dont il faut désormais comprendre comment il fut fabriqué et comment il influença une grande partie des auteurs du XVIe siècle. C’est en effet à partir du bricolage historique du moine dominicain de Viterbe que sont produites plusieurs histoires de France, de Gaule, des histoires régionales et des villes. Grâce à la diffusion de l’imprimé, l’inventio d’Annius est rapidement appropriée par des érudits auxquels elle apporte quantité d’arguments pour répondre aux débats d’ordre religieux et politique, ainsi qu’aux exigences de la nouvelle bourgeoisie, soucieuse de célébrer sa conscience citoyenne : on peut penser à Gilles Corrozet, imprimeur parisien, auteur du Catalogue des villes de France et des Antiquités de Paris, ou encore à Noël Taillepied, auteur d’une Antiquité de Rouen, sa ville natale. Ces discours historiques français, héritiers des Antiquités de Nanni, relèvent aussi d’une écriture de l’histoire qui dépasse les cadres nationaux. La thèse s’attachera donc à reconstruire de façon précise la réception des Antiquitates en France, mais aussi à intégrer l’oeuvre et à la comparer avec ses autres traductions culturelles qui se répandent en Europe et ailleurs dans le monde, outre-Atlantique et en Asie : les humanistes français ont parfois pris connaissance de l’oeuvre d’Annius par les détours de lectures hors de leurs frontières. La réponse critique à l’ouvrage d’Annius, qui se développe jusqu’aux recherches de Joseph Scaliger (1540 - 1609), fera aussi partie de l’enquête, car elle permettra de réfléchir au rapport entre « le vrai, le faux, la fiction » (Ginzburg, 2006) dans la France et l’Europe du XVIe siècle. Une relation complexe qui ne concerne pas seulement la Renaissance de l’humanisme et de l’imprimerie, mais aussi notre actualité du « post-factuel » et de l’internet.

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