Avis de soutenance de thèse – « Comme il est dangereux une femme espouser ». La mégère, du topos littéraire au débat de société (1540-1630), Charlotte Fuchs

Date: 14 Décembre 2018

Soutenance de thèse de doctorat en Histoire - Vendredi 14 décembre 2018, CESR, Salle St Martin, Tours - Charlotte Fuchs

Dans la perspective critique du New historicism, ce travail de recherche interroge l’essor concomitant des récits de mégère et la remise en cause (relative) d’une vision « monarchique » du mariage au tournant de la deuxième querelle des femmes.

La clef de ce paradoxe est à chercher dans la diversité des modes d’expression utilisés par les polémistes pour mettre en scène et stigmatiser la mégère. En effet, à l’instar de l’ensemble des thèmes misogynes, l’image de la lutte pour la culotte investit aussi bien le discours savant que la littérature satirique. Mais la frontière entre les deux est parfois mince… Ce phénomène légitime une lecture croisée de sources telles que les poèmes satiriques, les traités matrimoniaux, les ouvrages médicaux, les farces, les estampes ou encore les canards imprimés entre le début du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle.

L’étude de ces pratiques discursives ne suffit pas à percevoir « les modalités complexes de l’interaction entre la sphère des représentations et le régime des pratiques » (Dominique Kalifa). La deuxième partie de l’étude convoque donc un important corpus archivistique. Aussi marginales et taboues soient-elles, les affaires de maris battus ne sont pas pour autant les grandes « invisibles » des fonds criminels. Quelques documents exceptionnels laissent entrevoir le quotidien conflictuel de certains couples. Les lettres de rémission du Parlement de Bretagne (Archives Départementales de Loire-Atlantique) et les procès en appel du Parlement de Paris conservent ainsi des affaires de « querelles de ménage », dont certaines se sont achevées dans le sang. Leur lecture a permis d’enrichir celle des sources fictionnelles.

Le topos de la mégère, en apparence léger et inoffensif, supporte une lecture à plusieurs niveaux. Il s’inscrit dans une époque qui ressent la nécessité de réformer le lien conjugal et de s’immiscer dans l’intimité des conjoints. Les lieux communs misogames ont conduit la société, au moins en partie, à interroger le pourquoi de la violence féminine et en retour à repenser la notion de puissance conjugale.

Ainsi, cette étude a révélé une évolution progressive, d’une conception « structurelle » de l’épouse querelleuse vers une autre, plus « conjoncturelle ». Au début de la période étudiée (1540-1630), c’est la vision médiévale qui prédomine : la femme, violente par essence, est perçue comme un animal qu’il faut dompter. Progressivement, les débats sur mariage s’émancipent de la querelle sur la nature des femmes : plusieurs auteurs émettent alors l’hypothèse que la condition des épouses est la cause de leur rébellion. Ainsi, la littérature anti-matrimoniale a contribué, à sa mesure, à faire émerger une réflexion sur le rôle de la femme mariée.